Me voilà seul, sorti par la porte Est, je joue quitte ou double. Aucun de mes copains éphémères n'a pensé à me suivre, complètement absorbés par l'Assault Ramp. Les rares bonhommes dont j'ai réussi à attirer l'attention en sautant partout et en gueulant "Follow Me !" à la radio se sont perdus dans les couloirs. Quelle équipe.
Je remonte le sentier, le doigt sur le MP40, paré à dégommer le premier casque vert qui dépasse de l'horizon. Intersection, personne... un coup d'oeil à l'intérieur du blockhaus pour vérifier, parfait, j'ai de l'avance.
Dans un élan de mise en scène, je me jette violemment à terre pour ramper. Je met une minute et demie avant d'arrêter de tousser dans la poussière qui virevolte, et avant de sécher mes larmes de douleur abdominales (j'ai ma ceinture d'outils qui m'est rentrée dedans). Je décide donc de reprendre ma progression en milieu hostile, sans pour autant me la péter. Je jauge la distance, tend une dernière fois l'oreille, et hop c'est parti, mon temps est compté. Je sors une mine antipersonnel, et la dépose en plein milieu du passage. Encore quelques coups de pince et ce sera bon... allez ! J'entends déjà des chuchotements à fort accent américain derrière le virage. Sueurs. MAIS BRODEL C'EST QUEL FIL QUI VA DANS CE !@# DE CONTACTEUR. Ok... ok. Vite, une dernière poignée de gravillons, elle est planquée, je m'éclipse.
Encore haletant à l'abri dans le bunker, je me mord l'intérieur des joues pour ne pas penser. Je ne suis qu'un simple chevron du génie, je ne suis pas fait pour le terrain. Le sol tremble, le support aérien pilonne la plage... je suis à des milliers de kilomètres de mes montagnes, de mon Bayerischer Wald. Je ne comprends pas cette guerre. Se pourrait-il que...
*PSSSSssss...*
L'air se fige. Sifflement caractéristique. Le percuteur crève l'enveloppe chimique qui se désagrège en une seconde et demie, pour enfin toucher le détonateur. Quatre-vingt dix grammes de trilite de mauvaise qualité se réveillent. Je sens sa peur à travers le béton armé.
Déflagration.
Je rouvre les yeux. Calme plat. Dans l'embrasure du couloir, une silhouette se dessine. Une balle dans le nez. Ayé je suis mort.
Je lâche la souris en meuglant "LA MOUUUULE FFS !". En fait, il m'avait bien semblé que le bruit n'était pas venu du caisson de basse. Intrigué, je me jette à terre pour ramper jusqu'au salon. J'essuie deux-trois perles lacrymales en réponse au pack clés/portable qui vient de me détruire le haut des cuisses. Je reprends mon évolution au ras de la moquette, contourne le futon, et contemple ébahi le champ de bataille.
Une brèche de plusieurs centimètres déchire le terrarium, tandis qu'A'Tuin gît sur le carrelage. Je ne m'approche pas tout de suite, gaming-after-effect oblige, je tâte le terrain à la recherche de fils-pièges. Pendant ce temps, la bête ne se relève pas, mais mime un genre de brasse glissée sur le plancher lustré. Je m'interroge sur le tissu de la réalité quand d'une patte arrière, elle se met à marquer le rythme de la zik de Wolfenstein qui continue de tourner dans la pièce à côté. La voyant jusqu'ici de dos, elle tourne alors lentement la tête vers moi, et son regard cerné rencontre le miens. Une forêt de dreadlocks accompagne son mouvement, et je rompt les derniers câbles de raison lorsqu'elle m'adresse un sourire édenté, laissant ainsi tomber de sa gueule un mégot froid.
Ceci est le nouveau subtrat de la litière d'A'Tuin.
Le compositeur de ce blog insiste lourdement sur le caractère gratuit, libre et volatile de ses partitions.
Toutes histoires de droits d'auteur et de propriété intellectuelle seront sagement reconduites à la porte.