Ce texte va être pénible. Je ne vois pas comment faire ressortir quoi que ce
soit de marrant, et il va être de plus le témoignage complètement subjectif d'un lecteur conquis. Que ce soit dit dès le départ : ce post est une énorme
lèche.
Le 11 Juin sort au cinéma l'adaptation d'un roman policier fabuleux, que je qualifierai pour moi de top of the pop du genre littéraire : "Le mystère de la chambre jaune" de Gaston Leroux. Dire que ce bouquin m'a remué mes jeunes neurones de l'époque est peu, car il m'a tout bêtement ouvert les yeux sur la
logique, stupide chiard que j'étais. Rouletabille, le perso principal au nom
aussi désuet qu'hilarant, applique un cheminement intellectuel d'une clarté et d'une simplicité effarante, bien loin d'un Holmes aussi obscur que mouleux, ou d'un Poirot despote et assisté. Le ptit gars applique ce qu'il appelle "le bon bout de la raison", qui se résume en gros à ne croire et n'avoir confiance qu'en ce qui ne peut être démonté par des contre-arguments. Ça parait évident, n'empêche que j'encourage quiconque à lire le bouquin et sa suite "le parfum de la dame en noir" (ne serait-ce que pour devancer le 7ème art qui sans doute fort de son élan trilogique du moment va se lancer dans l'abattement de la collection
Leroux), pour sentir la plume théâtrale et fougueuse de l'auteur, qui vous fait
bondir de "putain mais c'est trop évident bordel ce gars il oune".
Je ne peux pas prendre d'exemple précis sans tomber dans un spoilage méthodique, aussi on en reparlera genre dans un mois. Mais c'est par cette entrée en matière aussi pertinente que démesurée que je veux présenter Gérard Nissim Amzallag. Voilà un gars qui s'appuie sur le bon bout de la raison. Et comme le dit son parrain en quatrième de couv' : "un scientifique qui pense par lui-même".
Gérard, il est chercheur en biologie végétale, et les plantes pour lui ben c'est un peu ce que sont les chevaux pour Guy Lux (bon je commence à faire mon débile, stop, concentration). Non seulement il en connait un rayon, mais sa curiosité dépasse de bien loin son domaine.
C'est par des petits encadrés d'exemples concrets qu'il s'amuse en premier à virer du piédestal quelques grands principes desquels
sont partis les scientifiques modernes. Sans jamais tomber dans le "je suis pas
d'accord" bête et méchant, il se place en permanence dans la peau du type qui
pourrait contredire ses idées. A mon avis, s'il arrive à le faire si facilement, cela doit être fruit d'une expérience permanente de sa position de non-conformiste dans un monde scientifique rigide et implacable.
M. Amzallag doit être
quelqu'un qui dérange, et à sa place, en ayant écrit ce genre de bouquin, je
flipperai pour ma peau. Le but : essayer le moins brusquement possible de nous faire accepter que nous ne sommes pas des machines entièrement programmées et réalisées à partir d'une molécule d'ADN. Essayer de nous faire réfléchir à quelques étages au-dessus, histoire d'avoir une vue d'ensemble, sans nous faire tomber de haut. Un genre de "maïeutique du jeune esclave", sauf que le maître se heurte à un obstacle supplémentaire : notre formatage d'idées reçues, inculqué
depuis notre premier contact avec un tube à essais.
Selon lui, le vivant s'articule autour de points de développement, le tout en interaction permanente avec l'environnement proche. Nous ne sommes pas le résultat d'un programme génétique monstrueusement détaillé, dans lequel on pourrait lire les coordonnées d'emplacement de chacuns de nos poils. Pire que ça, et toujours par des exemples bluffants d'évidence, il bouscule Saint Darwin en proposant l'idée d'une nature
pas si combattive que ça. La loi de la jungle ? Ben pas trop en fait. Plutôt un milieu où même les faibles ont droit à leur zone de développement, du moment
qu'ils s'inscrivent dans la mécanique générale. Fort de ses observations, il dénonce le systématique recours au "hasard salvateur" par sa profession. Un fantastique passe-partout appliqué en grande partie à toute mutation bénéfique à une espèce vivante en détresse. La raison (du systématique recours) en est simple : il n'y a rien à comprendre à un phénomène qui, a priori, est considéré comme se produisant au hasard. Ce préjugé est si grand
qu'il permet même de déformer (ou pis encore, d'ignorer) certaines observations par souci de préserver une cohérence à ce qui est considéré comme "la seule explication rationnelle possible" (...) L'horloger aveugle des biologistes se montre extrèmement gaspilleur : il ne doit ses réalisations qu'à l'echec, l'insuccès et la mort de la plupart des structures
vivantes qu'il construit.
J'insiste sur le fait que l'auteur ne réfute pas tout le
travail accompli par ses collègues. Il ne fait que souligner de façon alarmante le comportement obtu de la recherche, qui prends des allures d'auto-persuasion en milieu fermé.
Quand il reprends le cheminement des évolutionnistes du XIXème siècle, c'est pour mettre en
garde le lecteur sur la façon dont le singe a été habilement transformé en homme. Non pas
que le processus soit faux, mais les techniques employées alors pour écarter les problèmes
de correspondance avec la théorie semblent aberrantes (spéculations en cascades, ignorances
volontaires de détails).
Il m'est impossible de reprendre ici la foultitudes d'exemples
de déviations qu'il donne, sur la manière qu'a la science de s'éloigner de sa propre
philosophie. Mais de toutes les expériences, travaux, recoupements rapportés dans ce livre
découlent une approche originale et stable de la structure du vivant. Depuis la molécule
jusqu'à l'écosystème, Gérard fait ressortir une capacité unique d'autonomie de la matière,
qui se développe sans cesse en fonction de son milieu. Cette cohérence générale qui apporte
simplicité à un édifice qui, s'il fonctionnait grâce à une planification rigoureuse via des
schémas moléculaires définis, s'effondrerait de lui-même de par la masse d'informations qu'il
serait nécessaire de déchiffrer. Il en ressort surtout un principe affolant, mais qui dans
le contexte devient évident : La fiabilité de résultat n'implique donc pas une fiabilité
dans le cheminement qui y mène.
Gérard se bat sur les flancs
de sa propre montagne. Il veut attirer l'attention sur ce qu'il a trouvé, juste
montrer les énormes rails sur lesquels s'est engagée la science, et rappeller à
tous qu'on s'est peut-être trompé d'échangeur. L'ennui c'est que la machine va
vite, qu'elle est un peu munie d'oeillères, et qu'elle est pas du genre à
freiner pour un petit cailloux qui gêne, alors que tout semble planifié et
surmontable.
Je ne peux pas retranscrire dans un champ de 65535
caractères maximum l'étendue magistrale du boulot de l'auteur. Un livre où l'on
doit s'arrêter toutes les demi-pages pour digérer l'information, la tête
retournée par la fascination, le choc, les détails, tout ce qui fait de cette
oeuvre un pavé de réalisme. Je ne demande qu'une chose c'est que si un lecteur,
plus pointu que moi et mes faibles notions de biologies encore pendouillantes,
s'attaque à ce bouquin et qu'il y trouve à redire, je VEUX savoir. Il me FAUT un
autre regard sur ces idées titanesques qui chamboulent la base même de notre
développement. Y a une erreur ? Pas de problème, on en discute. Un mensonge ? je
suis tout ouï. Un autre raisonnement possible ? C'est encore mieux.
Je n'ai
encore trouvé aucune critique de L'homme végétal sur le net. Si personne ne se manifeste ou
n'ose s'attaquer à lui, c'est mauvais signe. Ça voudrait même dire qu'on a
tellement tort qu'on se tait. Ou tellement mal barrés et orgueilleux qu'on ferme
les yeux. Creusons plus vite, mais surtout sans savoir pourquoi.