Poussée par une rage hippique, la mystery machine pétarade gaiement à en réveiller toute la Fensch. Dans ses rondes prunelles jaune chat, le monstrueux brûleur de l'acier en coulée continue reflète l'enfer. Les véhicules rétroviseurs s'affolent dans de larges embardées, pris de panique, afin de laisser l'autoroute se faire avaler par une tonne et demie de tôle bleue vrombissante, hurlant ses pfouuaaa allez 87 km/h déchaînés (on est en côte faible). Le convecteur temporel peut continuer sa sieste, il sera pas surmené.
Au fur et à mesure des bornes défile l'arche de noé morte sur le bord de la route. Un coup d'oeil hasardeux au tableau de bord m'interloque : le compteur kilométrique m'affiche négligemment 66666,4. Je m'attends alors à voir apparaitre un truc inouï. Un genre de hérisson géant qui écraserait en grognant toutes les voitures arrivant à sa portée. Quatre grosses pattes coussinées griffues grimpées sur une montagne de métal tordu et fumant, le plus gros carambolage du monde. Tournoyant lentement sur ce feu de joie, des épines dorsales de la taille de mâts d'éoliennes embrocheraient chacune une cinquantaine de corps humains concassés. Un méchoui fabuleux, la revanche incarnée des lapins éventrés et des biches pulvérisées. Bref. Plus que 100m. Je tasse dans mes épaules la peur du Saint Hedgehog tandis que le kilomètre de la bête bascule dans le tachymètre. Je croise planté dans l'herbe un petit réflecteur orange auquel il manque un bout. Fear.
Noyé dans le courant du vendredi soir, je me surprends tout de même à frétiller en accrochant la E411. Ravi d'avance de l'éclairage confortable, j'ai hâte de retrouver mon pote Bob l'éternel défenseur des eaux gazeuses au volant. Ah ben non tiens justement ils l'ont remplacé, voilà maintenant qu'on encourage les piétons à grimper sur les bagnoles garées sur les trottoirs. Je note, je souris, je dépasse Namur, Wavre, ça devient bon. Plouf, plouf, les rues défilent au hasard, et shbing voilà le Sheraton. Explosion.
D'un bout à l'autre du flandervortex, le temps s'écoule différemment. Pas forcément sur la même ligne en fait, c'est un peu comme regarder trente mille pieds plus haut la condensation des réacteurs d'un stratocruiser. On a conscience de "voir passer" sans pour autant être acteur de la dimension. Au mieux , on croit reconnaitre dans le coton une tête de mickey, un lapin qui bouffe un dragon, un cornet de frites qui se disloque. M'enfin ça dépend des gens. Moi, à l'heure actuelle, je vois des sushis à manger et à poils. J'étais dans ce couloir hier, j'ai monobisé ces joyeux ce matin, j'étais mort pété dans ce canapé il y a dix minutes. Tout pareil.
Ou en fait non. Maintenant il ya deux petits points de phosphore qui m'ont attaqué la rétine à perpétuité. Je les traîne dans un coin d'orbite, comme des soleils couchants accrochés le long d'une route de campagne sur Tatooine. Des jumeaux angéliques qui papillonnnent grâcieux sous des rideaux soyeux. Je lève la tête vers le Ciel, des escadrilles d'Airbus ont tissés une couette de nuages, nous voilà bien au chaud. Mieux existe, je l'ai rencontré.