Mars, car sans doute un soleil descendait entre les bouées nord. Les cheveux folâtres et le col en rempart, les derniers jappements faussement effrayés s'estompant dans la montante, j'aspirais profondément la goulée du moment : la meilleure.
A cette époque de l'année, hormis quelques drôles transportés d'aventures ou quelque poête maladif en mal d'expiration - calqués sur leurs idoles, d'un mimétisme acoustique fort accomodant - rares sont les téméraires à prendre le quart de nuit. Je ne m'en plains pas, et mon salut réside en l'attrait fortifié de la
jumelle[b]. Il est un axiome chimérique : spectres et farfadets apprécient davantage la sécurité des vieilles pierres aux tapis d'herbes sauvages. Aussi j'étais à l'abri des croisades adrénalines, mon portail estampillé d'un "le fantôme d'Arakonor ? Non, c'est à côté".
J'avalais cette fin d'hiver paisible, les vacarmes métals plaqués du voisin Petit Bé étouffés par le flux. La liquide merveilleuse aux contrastes arrogants éternuait son écume sur d'aiguisés granits.
Je dois avouer que le mail des filles me surprit l'ascension. Car enfin écrire le fil d'un autre... quelle audace. Non sans retourner la question sur le feu conscient, j'arpentais vivement mes broussailles quotidiennes, mains poignées dans mon dos en sueur. Encore quelques tours de corniche, moi l'aiguille mécanique de mon propre gousset, buvant la frise à plein gosier d'un temps sans influence. Mes allées et venues bousculèrent mon chemin aléatoire, et dans ma perdition hasardeuse une direction structurée émergea. Le chaos faillible faisait une courte pause, prenait des notes ou s'amusait d'une vue d'ensemble.
Et moi, dans l'obscure Bonsecours, j'avais traversé.
Ironique situation, je me retrouvais dans la peau de l'enfant qui n'aurait pas suivi, ou du maudit que la réponse eut embrassé au premier pied touchant le sable. Bah qu'à celà ne tienne, je montais sur la ronde, et laissant en arrière chiens,
guet[6] et canons, décidais d'arpenter la nocturne corniche. Très vite je ne vis plus différence entre ville et tombeau (et pourtant je tournais). De long, ma main gauche glissait sur la pierre, tantôt sèche et cassante, tantard moite et moussue, léchée par les hautes salées.
Par-dessus les toits surplombait l'équinoxe, comme gigantesque balance au titan indécis, la moue perplexe sur le coeur des hommes, "plus longues seront lumières, ou ténèbres infinies ?".
Mes pas glissés sur le frais roc enchainaient les révolutions. J'appréciais alors chaque angle de l'Aaron, comme l'écrou vissé aux rayonnantes rues, la roue de Malo échouée dans les émeraudes.
A mon cinquième passage, le visage encore dans les étoiles figées, une patte s'abattait sur mon épaule cassée.
Un million de dents me souriaient. C'était Robert.
" -
Je n'ai jamais pu me faire à ton prénom, rouquin (il m'entrainait).
-
J'ai payé une chopine en tarif d'une histoire, sais-tu, pour qu'un mort en costume m'en apprenne une fameuse : sa grand-mère, une normande, a trainé pour une dizaine un cain[2] dans son sillage. Un caractère de cochon pour un poil abricot, il fut nommé de ma famille !-
Ça par exemple (sourire)
, les buveurs de cidre n'ont-ils de respect pour la marine ?-
Point d'inquiétude, car j'en sors triomphant. Cette race désormais ni ne me sent ni m'aboie. Hahaha ! Faut-il que les éléments déchainés t'aient empêché de dormir pour que tu quittes ta croix, l'ami ? Que viens-tu oublier sur le continent ?-
Eh tiens, pourquoi pas. Ton huile poissonnière pourrait peut-être m'éclairer. Parlons.-
Buvons ! Suis-moi par la Pie !"
Sur les pavés luisants, ses bottes devançaient ses pas. J'accrochais son image à la ponctualité réverbère, son cuir claqué en rythme. Qu'il avait fière allure ce gredin.
Certes l'homme connaissait sa maison, et je l'avais maintes fois suivi dans ses cloaques débits.
Après tout l'histoire locale se chargeait seule de lustrer sa proue, et ses contes corsaires abreuvaient les louveteaux pétillants d'espoir et d'héroisme sous couvre-lit. Surcouf ne faisait que son devoir de classe.
Nos détours de ruelles dérangeaient les pataux goelands, et si fusse la période des oeufs, les petits gars nous choiraient des gouttières. Le rire gras du grand réveillait tout, aussi son ainé vint nous faire baisser le ton. Il est des choses chez militaires que même la mort ne dissipe, et je pouffais bas du soudain silence hiérarchique. Duguay-Trouin n'ouvrit même pas bouche. Les galons seuls firent office. J'estompais.
" -
Hola mes beaux, j'ai besoin de vos esprits même vidés par les verres. Laissons tomber la Pie, je tranche à la Venelle."
Ils acquiescèrent des talons, et l'atmosphère jusqu'ici curieuse qui s'était encerclée alentour, étouffante de présence, se dilua dégoutée.
Notre trio avalait les fenêtres, déambulant au hasard de la Herse, du Pilori, du
Chat Qui Danse[5]. Après trépas, le chemin et le temps importent peu, seule l'idée essentielle. Retour aux Petits Degrés, écart dans une Petite Hermine, crochet par le Gras Mollet... finalement nous y sommes.
Antrons.
L'air empeste le tonneau, la friture, on est bien. Robert reprend confiance.
" -
Maclovius ! Ton vin !"
Le prélat sursaute de sa nonchalante torpeur, entourée des volutes de son calumet boisé.
" -
Tout de suite, Messeigneurs."
Une petite éternité s'effondre, et René s'adresse enfin à moi. Le souvenir de ne l'avoir jamais entendu remonte à la surface.
" -
François, tu sembles tracassé. Parle, nous sommes impatients."
J'attrappe la ligne au vol. Ils paraissent confiants, ne s'y accrochent même pas. A moi donc de mener le jeu. Trois, quatre cent ans ne les blesseront pas.
" -
Bon les gars, je vous dresse le topo vite fait. Vous savez sans doute qu'il m'est arrivé de gribouiller des trucs pendant ma période à chair. Vu que vous étiez déjà entre quatre poignées, ça a dû moyen vous accrocher l'intérêt, je suppose qu'il y avait un paquet de trucs plus jouasses à observer que mes corniauds. Bref, j'ignore pourquoi, mais les superlatifs ont fusé, des barbus se sont creusé le mou sur mes phrases. Ça a gueulé dans tous les sens, on en peux plus tellement mes bouquins démoulent, bla bla faisons une ronde autour de ma pile, chantons, on va se bourrer à la prune en récitant des passages par coeur. Du grand n'importe quoi. M'enfin passons, le truc c'est qu'au temps commun où je vous parle, les gens continuent à me lire. Me regardez pas comme ça, je comprend pas non plus leur système."
En fait, seul Robert avait l'air de vraiment percuter, tandis que les yeux batraciens de René s'acharnaient à garder une assiette correcte, le cerveau hérissé d'attention afin de ne pas laisser s'enfuir le champ lexical. De temps en temps, un aigu de surpression s'échappait d'une de ses feuilles, témoin sonore de ses pertes d'
adhérence[1] mentales, à l'image d'un éventuel chaton qui aurait maladroitement basculé d'un bord de guéridon. Quelques *couic couiiiic* désespérés reflèteraient sa volonté musculaire de refuser la gravité de la situation.
Surfcouf commençait à choper le geste, il essaya donc les fréquences :
" -
Oh brodel, ce pinard envoie le bois !"
...et René de papillonner comme une biche :
" -
Euh... bon, en gros il se situe où ton souci ? Parce que se faire picorer dans les rayons d'un Auchan, c'est pas la mort.-
Naaan, mais c'était juste pour le contexte. J'ai deux parisiennes qui veulent que je ponde un post pour leur blog papier."
Un coup de soupape pour René. Une gorgée pour Robert. Ils s'accrochaient à la rampe verbale comme deux vieux pompier dans un escalator.
" -
Maclou ! Sors la tireuse, il nous faut du kérosène ! (Surcouf se régalait)
-
Ça maaarche ! (l'ermite avait mordu lui aussi)
-
J'ai jamais rien fait de tel, ffs. Vous me connaissez, hein, sorti de ma plume et de mon encrier je suis sec comme un Prunille. Et puis merde, c'est quoi un blog à posts ?"
Sifflement double. Un propulsé, un avalé.
" -
Et c'est pas tout, je suis sensé parler à la place de n'importe qui... en tout cas c'est ce qui est marqué dans Firebird. Elles ont insisté."
Surpression, glotte, classique. Silence.
Duguay-Trouin jette un regard en coin par-dessus sa pinte, ses orbites réclâment de l'aide. Surcouf noie les siens dans un baron. J'en demande trop ?
Explosion.
Dans un vacarme gazeux aux accents italiens, Maclow surgit du nuage de vapeur expresso. Mon dieu est dans la machine à café.
" -
J'ai tout entendu ! Alors mon gars, ce qu'il te faut déjà c'est une connec' potable. Laisse tomber cet AOL de fada, et prend cette friboite (elle apparait de ses mains dans un *ding*)
. Pour peu que ton Grand Bé soit dégroupé, ça va roxer. A toi les frags et un ping de malade. Maintenant, ouvre tes yeux, et seurfe dans le Renard de Feu. Ouvre grand, c'est surpuissant."
Le moine s'animait, m'émerveillait, m'illuminait. Transfiguré, il vibrait tel un joypad et j'encaissais le retour de force. Les deux marins nous avaient quittés depuis un moment (respectivement fondu ou
flottant[3]), quand il éteint soudain sa voix. Il s'approcha doucement de mon oreille et sussura :
" -
Fils, tu as désormais les clés d'un monde nouveau, je vais t'aider à porter ce fardeau."
Dans ses phalanges de nacre brillait un objet circulaire, un arc-en-ciel irisé dans ses reflets lumière.
" -
Prend cet item, il est pour ta pomme. C'est un disque laser, liberté je le nomme. Ta quête finale sera d'exister sous autre pseudonyme. Chateaubriand ! Homme ! Choisis ton origine !"
Extraordinaire moment ! Fabuleuse existence ! J'allais naitre sous une autre identité... Bloguer... et vivre ! J'expulsais ma foi à la figure du maitre, ma décision bascula comme un pont-levis libéré de ses chaines.
" -
Je veux être un présentateur de télévision !"
Malo laissa sa mâchoire s'affaler, et cassa sa pipe.
[1] http://www.pietons.cicrp.jussieu.fr/pietons/apr9810.jpg
[b] maps/tofs/jumelle.jpg
[2] http://www.lecomtedelamarche.fr/images/unique.jpg
[3] http://jeanlucparant.free.fr/expositions/images/gl113.jpg
[5] http://membres.lycos.fr/lechatquidanse/fredindex.htm
[6] http://galerie.big-bang-art.com/oeuvre.php3?id=174&artist_id=20
Pour mémoire, petit Patrik, la mise en page bizarre de ce post en véritable hérésie htmlique, aux liens même pas transformés, aux polices limite illisibles, est comme tu t'en doutes maintenant volontaire. Le texte était destiné à l'impression, alors pour les liens cliquables sur papier, tu repasseras. J'ai simplement décidé de conserver le format originel, par souci de pénibilité maximum.[pas mort pour rien] pour l'investissement le plus endurant, construit, psychoté dans l'histoire de mes posts,
elles sont à embrasser.